Les relations entre Bruxelles et Berne ont atteint un point bas.

La décision n’a pas été une surprise totale. “Nous nous y attendions un peu”, a déclaré un haut fonctionnaire européen.

Pourtant, la décision prise mercredi par le gouvernement suisse, le Conseil fédéral, de ne pas signer un nouvel “accord-cadre institutionnel” (ACI) entre l’UE et la Suisse et d’abandonner les négociations a fait de grosses vagues dans la capitale européenne, Bruxelles.

“Le Conseil fédéral a pris aujourd’hui la décision de ne pas signer l’accord, et a communiqué cette décision à l’UE. Les négociations sur le projet d’accord sur l’agriculture sont ainsi terminées.” Le pacte prévu avait pour but de simplifier et de dynamiser les relations entre la Suisse et son plus grand partenaire commercial, l’UE. Néanmoins, le gouvernement bernois a conclu que “les conditions ne sont pas réunies pour la signature de l’accord.”

Pickorage?

Les détracteurs suisses d’une intégration européenne plus étroite ont récemment mis en garde contre une réduction de la souveraineté et de l’indépendance de la Suisse par cet accord. Bruxelles a toutefois insisté sur le fait que la Suisse ne devait pas être autorisée à sélectionner les aspects positifs de son appartenance à la zone de libre-échange de l’UE tout en rejetant certaines obligations, telles que l’autorisation de la libre circulation en Suisse des citoyens de l’UE qui n’y entrent pas pour des raisons professionnelles. Les Suisses ont déclaré que l’UE n’était pas disposée à faire des concessions à cet égard. Les règles relatives aux aides d’État et les questions liées à l’expulsion des personnes ayant un casier judiciaire étaient également controversées.

Jusqu’à présent, les relations entre les deux parties ont été régies par plus de 100 accords bilatéraux. Ceux-ci resteront en vigueur. Toutefois, l’absence de mise à niveau des relations est susceptible d’avoir des conséquences à plus long terme pour la position de la Suisse. Elle sera désormais exclue d’un futur approfondissement du marché intérieur de l’UE, par exemple la création d’une “union de l’électricité” ou une coopération plus étroite en matière de recherche.

De plus, certains des accords bilatéraux existants ont déjà expiré ou vont expirer à terme, sans qu’aucun remplacement ne soit en vue. Par exemple, un accord UE-Suisse sur le commerce bilatéral de produits de technologie médicale a pris fin la semaine dernière.

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Réaction

La Commission européenne a réagi avec consternation. “Nous prenons note de cette décision unilatérale du gouvernement suisse. Nous regrettons cette décision, compte tenu des progrès accomplis ces dernières années pour faire de l’accord-cadre institutionnel une réalité. L’accord-cadre institutionnel entre l’UE et la Suisse devait servir de base pour améliorer et développer les relations bilatérales entre l’UE et la Suisse à l’avenir. Son objectif principal était de garantir que toute personne opérant sur le marché unique de l’UE, auquel la Suisse a un accès important, soit soumise aux mêmes conditions. C’est fondamentalement une question d’équité et de sécurité juridique. Un accès privilégié au marché unique doit impliquer le respect des mêmes règles et obligations”, a déclaré la Commission dans un communiqué de presse.

Le communiqué ajoute : “C’est pourquoi, dès 2019, l’UE a insisté sur le fait que cet accord était si essentiel pour la conclusion d’éventuels accords futurs concernant la poursuite de la participation de la Suisse au marché unique, et également un élément essentiel pour décider de nouveaux progrès vers un accès au marché mutuellement bénéfique. […] Sans cet accord, cette modernisation de nos relations ne sera pas possible et nos accords bilatéraux vieilliront inévitablement : 50 ans se sont écoulés depuis l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange, 20 ans depuis les accords bilatéraux I et II. Aujourd’hui déjà, ils ne sont pas à la hauteur de ce que devraient et pourraient être les relations entre l’UE et la Suisse.”

Retombée potentielle

En 2020, plus de 1,4 million de citoyens de l’UE résidaient en Suisse, tandis qu’environ 400 000 ressortissants suisses (4,6 % de tous les citoyens de la Suisse) vivaient dans l’UE. Dix-neuf pour cent de la population résidente en âge de travailler en Suisse ont la nationalité de l’un des 27 États membres de l’UE.

De plus, environ 344 000 frontaliers étrangers travaillent en Suisse. Deux tiers d’entre eux travaillent dans le secteur des services.

La Commission européenne a souligné que 37 % des médecins travaillant en Suisse venaient de l’étranger ou possédaient un diplôme étranger, et que la majorité des professionnels de santé étrangers venaient d’Allemagne. Dans le secteur de la gastronomie, environ 45 % des travailleurs n’ont pas la nationalité suisse.

La Commission a déclaré que si la Suisse ne signait pas le nouvel accord-cadre, elle n’aurait pas la possibilité de participer pleinement aux opérations de l’Autorité européenne du travail nouvellement créée, comme la participation des organes de contrôle suisses aux inspections conjointes, et n’aurait que des possibilités limitées de sanctionner les fraudeurs dans ce domaine.

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En outre, la Suisse n’a pas pu se voir accorder l’accès au système d’information sur le marché intérieur pour la coopération administrative avec les États membres de l’UE. Ce système, selon l’UE, “facilite grandement la mise en œuvre et l’application des règles de détachement de l’UE et permet d’appliquer efficacement les amendes dans les situations transfrontalières.” De plus, les Suisses perdront également l’accès au réseau européen de coopération des services de l’emploi, conçu pour faciliter la libre circulation des travailleurs.

Une autre répercussion se ferait sentir dans les relations commerciales. Actuellement, l’UE est le principal partenaire commercial de la Suisse, représentant près de la moitié de ses importations de marchandises et environ 42 % de ses exportations de marchandises. En revanche, la Suisse est le quatrième partenaire commercial de l’UE après la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni. Le marché suisse représente environ 7 % des exportations de l’UE et 6 % de ses importations.

Avantages commerciaux

Selon une étude réalisée par le Secrétariat d’État à l’économie suisse en 2015, la perte des accords bilatéraux réduirait le PIB de la Suisse de 425 à 580 milliards d’euros pour la période 2018-2035.

Sans l’extension du champ d’application de l’accord sur le commerce des produits agricoles à l’ensemble de la chaîne alimentaire, des questions telles que l’étiquetage des denrées alimentaires ne seraient toujours pas harmonisées, ce qui empêcherait les petites entreprises d’exporter de la Suisse vers l’UE et vice versa, fait valoir l’UE. Ne pas mettre à niveau l’accord priverait également la Suisse de la possibilité de négocier un meilleur accès au marché pour certains de ses produits agricoles, notamment la viande et les produits laitiers.

Le gouvernement suisse s’est plaint que l’UE souhaitait exclure les organisations suisses des principaux programmes communautaires et qu’elle traitait donc la Suisse plus mal que les autres États non membres.

Quelle est la suite?

Il n’est pas clair s’il existe une voie alternative viable pour parvenir à un rapprochement entre les deux parties. Mercredi, l’UE ne semblait pas disposée à envisager de nouvelles discussions avec les Suisses. À Berne, le Conseil fédéral s’est montré plus optimiste et a déclaré vouloir entamer un “dialogue politique” avec Bruxelles sur la manière dont les relations bilatérales pourraient être développées.

Au lieu d’un accord global, Berne a déclaré vouloir résoudre des problèmes concrets avec l’UE et veiller à ce que les accords bilatéraux existants soient appliqués le plus harmonieusement possible. En ce qui concerne les éventuelles mesures de rétorsion de l’UE, le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis a déclaré que la Suisse ne devait pas être placée par l’UE dans une position plus défavorable que celle d’autres pays tiers. Les accords existants doivent être mis à jour.

Auteur: Michael Thaidigsmann